Au cœur du mouvement queer arabe : défis et opportunités

par Lynn Darwich et Haneen Maikey

[Nous republions ici la traduction en français d’un texte de Lynn Darwich et Haneen Maikey, publié initialement en Octobre 2011, et qui avait été traduit, imprimé et distribué à prix libre par le Front du 20 mars à l’occasion de la rencontre-débat avec Haneen Maikey et Ramzy Kumsieh “Résister au Pinkwashing : au cœur du mouvement queer arabe”, qui a eu lieu le 20 mars 2012 à Paris.]

[Le texte original avait été publié en arabe sur Qadita :
من قلب تجارب النشاط المثلي العربي: فرص وتحديات
et il est également disponible en anglais sur Bekhsoos :
From the Belly of Arab Queer Activism: Challenges and Opportunities ]

Introduction

Depuis peu, un murmure se fait entendre parmi les militant•e•s LGBT arabes : il s’élève contre une certaine « tendance » dont le discours critique irait trop loin, notamment quant à toutes les questions relevant de nos stratégies organisationnelles en tant que mouvements queer/LGBT dans les sociétés arabes, quant à notre rapport à l’ « Occident » et au caractère hégémonique des expériences occidentales dans les méthodes d’organisation LGBT, et quant à l’adéquation de nos stratégies avec nos environnements sociaux, culturels et politiques, et en regard du défi incessant qui consiste à faire le lien entre notre réflexion et nos pratiques sur le terrain. Toutes ces questions ont été réduites à un discours qui n’aurait en réalité qu’une seule préoccupation et un seul et unique objectif : combattre l’Occident. Ce débat a gagné en ampleur à l’occasion de la publication de ce type d’analyses et d’expériences par des militant•e•s, et ce en Arabe, notamment sur Bekhsoos et dans la rubrique Queeriyat de Qadita.net.

Nous écrivons sur nos expériences militantes dans ce domaine afin d’institutionnaliser et développer le discours que nous élaborons au niveau local. Nous ne le faisons pas seulement pour des raisons pédagogiques, mais aussi parce que nous avons conscience de l’importance du partage d’expériences et qu’il s’agit désormais d’ouvrir la voie à des débats tant au niveaux local, régional qu’international. Ces débats, tels que nous les entendons, se basent en grande partie sur des processus d’autoréflexion (individuelles ou collectives) et sur les différentes façons que nous avons d’envisager les luttes queer et LGBT. Plus important encore, elles se basent sur la manière dont nous percevons et vivons notre position de militant•e•s queers et LGBT dans nos sociétés.

Nous espérons montrer ici que le développement de cette analyse est le résultat de dix années de diverses expériences sur le terrain qui ont appuyé une critique et un refus des structures de pouvoir et de domination basées sur la race, la sexualité, le genre, la classe (telle que l’entend la théorie féministe) et sur l’analyse, portée par une passion pour l’égalité (queer), des limites des modes d’organisation LGBT basés sur l’identité. En dehors de notre entêtement à définir, avec nos propres mots, et à rendre accessible un discours souvent caricaturé ou mal interprété, nous voudrions aussi répondre à certains défis qui nous font face alors que nous exprimons nos principes et nos positions dans les débats actuels sur les stratégies et les cadres d’organisation basés sur le genre et les sexualités.

Un discours LGBT de plus en plus polarisé

L’effet de ce débat (et il n’est pas hasardeux que nous n’utilisions pas le terme d’« échanges » ici) est de permettre une division artificielle et fallacieuse entre deux tendances principales. La première est accusée de « combattre l’Occident » et la deuxième, en réaction, de « combattre celles et ceux qui combattent l’Occident ». La division nous est étrangement très familière, en ce qu’elle met en œuvre la même structure binaire et mystificatrice que nous, en tant que militant•e•s queer (et parfois LGBT) travaillons à remettre en cause : la binarité de sexualité et de genre. Ce discours ne peut être que menaçant en ce qu’il nous menace, nous et nos groupes, en ce qu’il met l’accent sur des zones sensibles : celles qui concernent notre perméabilité (et parfois complicité) vis-à-vis de l’hégémonie du discours occidental – notez bien ici que le terme à retenir est « hégémonie », et non « occidentale ».

En plus d’essayer de requalifier notre discours comme « anti-occidental », l’autre tendance ne se constitue qu’en opposition à notre discours, au lieu de travailler et d’étayer ses arguments sur des bases solides et qui ne se contenteraient pas d’affirmations gratuites (comme comparer le prétendu « occidentalisme » du féminisme à celui du militantisme LGBT, par exemple). Ainsi, un certain rapport de force s’installe subtilement – qui ne laissera probablement pas de place à une analyse contextualisée, complète et aboutie.

La potentialité d’être induit•e en erreur commence dès lors que la critique de certains objectifs et de certaines stratégies des modèles d’organisation LGBT dominants se voit résumée à une attitude « anti-occidentale ». Cette confusion est entièrement construite sur le présupposé selon lequel la critique du militantisme LGBT est une critique de l’Occident dans son ensemble. Après tout, « l’Occident » n’a pas seulement produit les structures et les modèles d’organisation LGBT dominants, non ? Dans le ventre de la bête, des initiatives comme le Audre Lorde Project, Queers for Economic Justice, et bien d’autres, ont une longue et productive histoire en terme de création de modes d’organisation queer alternatifs et efficaces. Tout ceci montre combien, en soi, l’argument n’est pas seulement infondé, mais en vérité contre-productif dans la mesure où il confond les modes d’organisation hégémoniques avec les modes d’organisation occidentaux – c’est précisément cette attitude qui conduit, presque par inadvertance, à homogénéiser l’Occident. À cette malencontreuse confusion, ce sont ajoutées des attaques ad hominem déguisées qui ne consistaient qu’à révéler notre soi-disant rapport à l’Occident – lisible à travers nos tenues, nos choix de langage, notre féminisme, etc.

« Si le militantisme LGBT est occidental, pourquoi ne pas dire la même chose du féminisme ? »

Le féminisme a été, à différents moments de son histoire et de façon continue, remis en question pour mieux s’adapter aux particularités de chaque lutte individuelle et collective. Il a eu à changer de couleur, de forme, d’allure, d’appellation, de sens et de connotation, et ce à travers le monde et l’histoire. Il n’a cessé d’être modelé en tant que grille d’analyse hautement réceptive aux questions de genre et aux politiques situées.

Cela étant dit, le féminisme a également produit, dans de nombreux contextes, des degrés de privilèges au sein de différentes catégories d’identification (raciales, ethniques, économiques, ou encore religieuses). De même que pour certain•e•s militant•e•s « LGBT », des féministes peuvent ou n’hésitent souvent pas à tomber dans le piège des politiques de l’identité dès lors qu’elles promeuvent certains modes d’organisation plutôt que d’autres, tout comme lorsqu’il leur arrive de mettre en avant certaines modes de vie ou valeurs à défaut d’autres, au titre que tout cela serait universel et applicable à toutes les femmes de par le monde. Dans sa pratique idéale, le féminisme ne cherche cependant pas à imposer des cadres ou des valeurs, mais tend à préserver des normes alternatives, contestataires et à même d’offrir une puissance d’agir. La Journée mondiale des femmes est un bon exemple de cette volonté : bien que cet événement soit tout axé sur les femmes et prône l’idée d’une journée d’action au niveau mondial, cela reste suffisamment flexible pour pouvoir englober les particularités de la lutte de toute femme.

En l’occurrence, la Journée mondiale contre l’homophobie (IDAHO) consiste en un événement public préemballé qui assimile la lutte « LGBT » à un combat contre tout ce qu’on range, sans discussion, sous le label « homophobie ». Le nom de la Journée l’indique clairement, puisqu’il fournit au public une définition de la lutte LGBT comme s’élevant uniquement contre l’homophobie. Notre position contre l’homophobie, qui se construit souvent en réaction, renforce ce même esprit de haine et d’exclusion et, paradoxalement, reconduit les binarités de « fierté » et de « honte » (la fierté résidant ici dans l’homosexualité et la tolérance, tandis que la honte relevant de l’homophobie et de l’ignorance). Dès lors, au lieu de prendre du recul et repenser nos tactiques de riposte en s’attaquant aux racines de l’homophobie de nos sociétés – et à l’existence même de ce terme – nous investissons tous nos efforts dans la tenue d’évènements publics qui semblent hésiter à aborder plus largement le contexte social et politique de l’homophobie qui découle précisément du patriarcat social et institutionnel1.

Alors que la Journée mondiale des femmes marque l’existence d’un mouvement, mais ne précise ni sa forme ni sa stratégie pour toutes les femmes, l’activisme LGBT, quant à lui, dans ses mises en œuvre les plus visibilisées, promeut des idéaux et des représentations standardisés. Ces derniers construisent la culture, l’identité et le militantisme LGBT. L’axe qui relie homophobie, coming out, visibilité et fierté n’a pas cessé de modeler les communautés LGBT contemporaines, leurs valeurs tout comme leurs revendications, et ce à travers le monde.

Dans le cadre « LGBT », nos luttes se réduisent à la question de la représentation et à celle du privilège. Nous en venons à réclamer nous-mêmes ces privilèges. Nous contribuons aux hiérarchies qui laissent les trans, les non-identifié•e•s, les bisexuel•e•s, les intersexes, les handicapé•e•s, les migrant•e•s, les non-Blanc•he•s, les personnes illetré•e•s et beaucoup d’autres, au bas de l’échelle, indignes de droits.

Au lieu de prendre en compte les manières dont le système de privilège opère pour saper toute résistance dans nos sociétés, nous nous focalisons au contraire sur comment il nous exclut, nous et seulement nous. Pour exemple : lorsque l’orientation sexuelle est le terrain d’une lutte, on ne se soucie pas (ou peu) du privilège « d’être un homme » dans une société conservatrice aux cadres légaux genrés. Au lieu de pointer les normes hégémoniques qui, dans des conditions historiques déterminées, ont produit des exclusions de n’importe quelle catégorie d’identification, nous investissons notre marginalisation en tant que « LGBT » comme centrale, et nous considérons que les autres n’ont qu’à en faire de même quant à leur propre sort. Nous oublions que « ces autres luttes » peuvent être aussi les nôtres.

Au lieu de critiquer les processus normatifs, quels que soient leurs formes, nous essayons timidement de prouver que nous aussi, « les gays et les lesbiennes », sommes tout à fait normaux et normales, que tout cela est naturel. Acceptez-nous. Soutenez-nous. Nous réclamons tolérance et acceptance pour les personnes « LGBT », alors que nous pourrions travailler à plus justice et pour nous libérer du patriarcat hétéronormatif.

« Des lesbiennes se font tabasser pendant que vous théorisez »

Ce qui est peut-être encore plus désolant ce sont les déclarations telles que « des gays sont jetés en prison pendant que vous théorisez » ou encore « vous n’êtes que des miltant•e•s privilégié•e•s » qu’on jette à la figure de toute personne qui n’utilise pas le cadre et le langage victimisants pour parler de la lutte (qui est souvent la sienne également) « LGBT ». Tout discours de ce type se verra immédiatement marginalisé : nos analyses sont mises de côté et réduites au silence puisque considérées comme étant sans rapport avec « le monde réel dans lequel des “victimes” souffrent » tandis que nous perdons notre temps à nous interroger sur la victimisation en tant que cadre adapté, ou pas, pour promouvoir les luttes individuelles et collectives au niveau politique.

Les agressions comme la violence sont bien réelles et oui, nos sociétés en sont imprégnées. Et, après tout, celui ou celle qui se voit dans ce cas précis traité•e de privilégié•e a probablement déjà été confronté•e à des expériences traumatiques d’agression à un moment de sa vie (ce qui est le plus souvent le cas.) Mais dès lors que cette personne met en cause la question stratégique de l’usage du statut de « victime » comme prisme à travers lequel mobiliser la question des droits sexuels et de genre, elle est systématiquement mise à l’écart, réduite au silence et accusée d’être bien trop privilégiée pour être à même de comprendre les traumatismes des gens. Accuser gratuitement les gens d’être privilégiés ne fait que créer des divisions et renforce une fausse binarité contre-productive. Pour s’attaquer efficacement au privilège, il faut interroger systématiquement les situations réelles dans lesquelles on se trouve.

Il y a une différence entre, d’une part, la reconnaissance et la revendication d’une individualité saine – accompagnées du précieux sentiment d’être responsable et de posséder son processus de guérison, ainsi que sa relation avec ses pensées, ses mémoires, ses sentiments, ses cicatrices, ses luttes – et, d’autre part, l’insistance collective sur les expériences traumatisantes et la consommation d’un passé de victime.

Avec le livre Bareed Mista3jil, par exemple, Meem a voulu raconter les histoire de celles et ceux dont « la sexualité a été moquée, balayée, niée, opprimée, déformée et condamnée à l’invisibilité » (Bareed Mista3jil 1). Vous-êtes vous déjà demandé comment la plupart de ces histoires, même les plus douloureuses et déchirantes, a pu être source d’empowerment ? C’est parce que ces histoires ont été racontées pour inspirer l’espoir, l’amour, le pardon et une capacité de se dépasser. C’est un exemple de narration féministe dans laquelle les traumatismes et les violences sont reconnus et pris en compte, sans passer par un dispositif de victimisation visant la promotion politique des luttes individuelles et collectives.

Quand nous mettons en doute le langage et le dispositif de victimisation en tant que forme d’activisme, ce n’est pas pour dire aux victimes « tais-toi et remets-toi » – comme certains l’ont compris – mais plutôt pour questionner le cadre mental que ce discours promeut, qui empêche beaucoup d’entre nous de survivre et surmonter les situations d’abus. Ce cadre de victimisation, même dans ses versions les plus réussies, ne fait que renforcer une culture de pitié et d’impuissance, plutôt que la solidarité, le soutien mutuel et la prise de conscience du pouvoir dont on dispose.

De la déconstruction à la reconstruction/production

La préoccupation centrale de notre discours est la nécessité de ne pas reprendre à notre compte ce qui nous est disponible et accessible sans examiner d’abord si ces éléments sont adaptés à notre contexte et à nos objectifs. Nous voudrions ajouter à cela l’importance qu’a pour nous de produire et de reproduire des expériences locales qui, à leur tour, ouvrent un espace permettant de déstabiliser les structures de pouvoir et défier la pensée dominante, localement et à un niveau mondial – et l’accent est mis ici sur la construction locale et non pas sur le combat contre le mainstream, et même si par ailleurs nous ne considérons pas que notre critique ait le statut d’une guerre. Les stigmates du prétendu « combat contre l’Occident » et de la pseudo « arriération » dont on accuse notre discours, auraient pu s’entendre si le débat tournait uniquement autour de la déconstruction de l’hégémonie LGBT occidentale (bien que cette déconstruction soit radicale et importante). Mais là n’est pas le cœur de notre propos – qui se base en réalité sur de véritables expériences de différents groupes qui développement un discours propre, inspiré par le terrain et qui ont des points de contention solides qui nourrissent leur travail. Il est vrai qu’il y a déconstruction, mais l’aspect le plus important est la reconstruction/production.

Prenons comme exemple de reconstruction/production locale, le vide stratégique rempli par les Palestinian Queers for BDS – un groupe créé pour promouvoir et défendre l’appel de la société civile palestinienne au Boycott, Désinvestissement et Sanctions contre Israël, lancé en juillet 2005. PQBDS a fait de la lutte contre la colonisation, l’occupation et l’apartheid d’Israël sa lutte principale. Et puisqu’Israël utilise souvent les libertés et les droits des « LGBT » pour faire du pinkwashing – pour effacer ses violations des droits de l’homme et du droit international –, PQBDS estime très important de mener une initiative locale (et internationale) queer pour contrer le pinkwashing et promouvoir BDS. La puissance de PQBDS est sa capacité à lier la lutte pour la diversité sexuelle et de genre avec la lutte Palestinienne pour la justice et la liberté.

Ce discours n’est pas nouveau, mais sa présence et son développement étaient limités aux cercles distants et protégés du monde académique. Ce qui est nouveau c’est le fait de parler de ces questions du point de vue d’expériences locales de terrain pour affermir une connexion nette entre la théorie et la pratique. Quand cette perspective est proposée dans des espaces queer ou LGBT, aux niveaux local, régional ou même mondial, le défi est de pendre en compte l’étroitesse du militantisme queer arabe actuel sur ces questions.

L’activisme queer arabe peut donc être envisagé comme un champ fertile, où des sensibilités personnelles côtoient les intérêts politiques et l’esprit de compétition des différents groupes. Bien que ces dimensions fassent naturellement partie de tout mouvement, elles représentent un danger par leur capacité à réduire la discussion à des pôles, eux-mêmes dirigés par des personnes spécifiques qui finissent par devenir les « représentantes » ou « porte-parole » de ces tendances. Renforcer ces binarités – Orient/Occident, Mashreq/Maghreb, féministe/LGBT, etc – qui sont désormais indissolublement incarnées par des personnes, c’est imposer aux autres activistes de choisir leur camp entre ces tendances/dirigeant•e•s/groupes et les empêcher d’explorer ces questions radicales d’un point de vue pratique et théorique.

Peut-être le problème le plus complexe et sensible est qu’à chaque opportunité permettant un partage d’expériences et d’idées entre des individu•e•s et des groupes, au travers d’articles, ou de rencontres lors d’ateliers ou de conférences, on tente toujours de représenter toutes les identités, genres et orientations sexuelles, et l’on travaille à prendre en compte tous les groupes et toutes les tendances (pour que personne ne se sente délaissé•e). La plupart du temps il ne s’agit pas de l’enjeu principal, car il y a une grande différence entre notre démarche d’inclusivité (la plus large possible) et notre vraie capacité, en tant qu’activistes, à tenir ensemble l’analyse des structures complexes de nos sociétés, la réactivité de nos luttes, notre travail sur des problèmes quotidiens et la confrontation constante avec nos changements de perspective et d’environnement. Notre but n’est pas de tendre nos bras et d’attirer le plus de personnes représentant les différents groupes de la communauté « LGBT » et queer – ce qui serait une tâche plus facile. L’enjeu le plus important est plutôt que les activistes, et surtout les figures éminentes – qu’on nous excuse de hiérarchiser ainsi – se saisissent des points d’intersection entre les luttes lesbiennes, gays ou trans, entre le féminisme et le queer, entre la lutte contre l’occupation et la lutte pour la libération sexuelle. Nous admettons qu’il est extrêmement important d’appartenir au mouvement « LGBT » arabe, de partager et de dialoguer avec des activistes de groupes et de milieux différents. Ceci répond à d’autres besoins, et le seul point commun entre nous est alors souvent que nous soyons lesbiennes, ou trans, ou gays, ou queers.

En revanche, le plus crucial pour nous reste notre investissement stratégique et durable dans la construction d’alliances avec des groupes et des activistes avec qui nous partageons des modes d’organisation, des idéologies, et des questions de base communes – de sorte à ne pas avoir à ré-expliquer à chaque fois, par exemple, l’importance du féminisme dans nos luttes de sexualité et de genre. Ainsi, nous n’avons pas non plus besoin de revenir sur le danger du « marketing » de notre lutte, par exemple quand celle-ci est présentée comme une lutte unique en son genre, ou sur pourquoi nous ne pouvons pas collaborer avec des gays sionistes simplement parce qu’ils sont gays – et sur encore d’autres questions que nous considérons comme fondamentales dans notre effort continu pour créer un mouvement de transformation sociale qui soit viable et lui-même capable de changer quand il le faut.

Conclusion

Ce texte est un modeste essai d’analyse d’un dynamique et d’un discours qui, heureusement, sont toujours à leurs premières phases, mais qui sont susceptibles de prendre une tournure nuisible pour le développement d’un mouvement arabe de libération sexuelle. Cette tentative a été inspirée par notre expérience en tant qu’activistes et parce que nous sommes nous-mêmes partie-prenante de ces dynamiques, en espérant pouvoir les déconstruire de l’intérieur, pour nous donner les moyens de revenir au cœur de la discussion plutôt qu’en rester à la surface. Convertir la controverse actuelle en conversation partagée et enrichissante ne deviendrait possible que si tous les groupes et activistes prenaient leur responsabilité dans la construction d’espaces à mêmes d’inclure des discours qui reflètent nos réalités et les innombrables défis auxquels nous sommes confrontés. Il est contre-productif de l’envisager comme une guerre, avec des partis et des courants. En ce qui nous concerne, nous prenons pour responsabilité d’être vigilant•e•s, à ne pas tomber dans les pièges du cynisme et du pessimisme dont on nous accuse souvent à juste titre, et d’aider à ce que se tasse le débat qui porte sur des binarités qui ne reflètent pas nos réalités.

Au travers des quatre sections de ce texte, nous entendions explorer le développement d’un nouveau discours bâti sur les résultats de diverses expériences locales à la base. Nous voulions aussi aborder les défis auxquels nous sommes confronté•e•s quand nous formulons les limites des modes d’organisation basés sur l’identité, et en particulier LGBT. Malheureusement, ce discours est étouffé et balayé de plusieurs manières, et nous en avons évoqué certaines dans les sections précédentes. En conséquence, il semble qu’il y ait une continuité entre l’hégémonie de l’orientation LGBT (homophobie, coming out, visibilité, et fierté) et le rejet de la possibilité d’explorer d’autres façons d’aborder la sexualité et le genre dans nos sociétés. Le point crucial ici est que nous continuerons à nous investir dans la construction des alliances que nous avons mentionnées avec les groupes et les activistes qui, tout simplement, soutiennent un point de vue critique et comprennent l’importance des analyses féministes et queer, et qui reconnaissent le besoin de construire des plateformes militantes locales.

Haneen Maikey est membre fondatrice d’Al-Qaws pour la diversité sexuelle et de genre dans la société Palestinienne. Elle est aussi une militante active de la campagne Palestinian Queers for BDS.

Lynn Darwich est militante féministe à Beyrouth.

  1. Pour une critique plus complète de l’IDAHO, lire l’article de Haneen Maikey et Sami Shamali intitulé « International Day Against Homophobia: Between the Western Experience and the Reality of Gay Communities » (« Journée Internationale contre l’Homophobie : entre expérience occidentale et réalité des communautés Gays »).